Après la fermeture de la frontière avec Haïti, le président dominicain hausse le ton

Après avoir fermé la frontière avec Haïti, le président dominicain Luis Abinader a chargé le pays voisin dans un discours radiotélévisé diffusé dimanche 17 septembre au soir. Sa prise de parole et les mesures annoncées font craindre le pire à la communauté haïtienne.

Luis Abinader a mené une charge contre Haïti dans un discours diffusé samedi 17 septembre à l'approche des élections présidentielles. © Matias Delacroix / AP
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Si certains avaient encore des doutes sur la fermeté du président dominicain de garder la frontière avec Haïti fermée, ceux-ci ont dû être dissipés. Dans une allocution radiotélévisée diffusée dimanche 17 septembre au soir, Luis Abinader, actuellement en campagne pour sa réélection, a été clair : « Nous avons suspendu la délivrance de visas, interdit l'entrée des promoteurs de la construction du canal en Haïti, fermé les frontières terrestres, aériennes et maritimes et renforcées la présence militaire tout au long de la frontière. Ces mesures resteront en vigueur jusqu'à ce que nous obtenions l'arrêt définitif de la construction du canal. » 

À l’origine de ces tensions, un projet de promoteurs privés visant à la création d’un canal d’irrigation haïtien. Celui-ci doit s’approvisionner dans la rivière Massacre – qui traverse les deux pays – pour fournir les agriculteurs nationaux, ce qui est considéré comme une entorse aux traités binationaux.

Charge contre Haïti 

Avec ces mesures, l’objectif des autorités dominicaines est de « garantir la sécurité nationale et l'intérêt national ainsi que la protection de nos rivières, de l'environnement et de la production agricole », a déclaré Luis Abinader. Haïti « peut souverainement décider de l'exploitation de ses ressources naturelles », a réagi de son côté le gouvernement de Port-au-Prince dans un communiqué. 

Le président dominicain a insisté sur le fait que la rivière du Massacre, également appelée Dajabon, naissait en territoire dominicain et mesurait 55 km, dont 9 km de frontière et « 2 km en territoire haïtien », là où est construit le canal. « Haïti et son manque de planification ont fait que la quasi-totalité des écosystèmes de son territoire sont détruits », a-t-il dit, parlant de la « mauvaise gestion (haïtienne) des ressources naturelles » qui aboutit selon lui à des projets comme le canal.

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Réaction disproportionnée ?

Jean-Marie Théodat, écrivain haïtien et maître de conférence à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, estime cette charge contre Haïti et ces mesures démesurées : « Il est allé trop vite. M. Abinader cherche une issue de secours tout en restant sur une attitude de matamore. Parce qu'il ne faut pas oublier qu'il est candidat à sa réélection et qu’en République dominicaine, la veille des élections, on voit toujours une bouffée de racisme anti-haïtien. »  

D'autant plus démesuré que le président dominicain souligne lui-même la portion minuscule du cours d'eau dans laquelle Haïti compte puiser. « Là, c’est un ruisseau qui traverse la frontière pour revenir sur le territoire dominicain après un parcours d'à peine 2 km sur le territoire haïtien, c'est-à-dire une broutille, tempère Jean-Marie Théodat. Le président Abinader a pris prétexte d'un incident qui aurait pu vraiment se régler au niveau des autorités municipales. »

Des relations sous hautes tensions, la communauté haïtienne dans la crainte 

D'ailleurs, lors de son discours, Luis Abinader a assuré que dans ce dossier, « il ne s'agit pas d'un conflit entre deux peuples ». Pas vraiment de quoi rassurer la communauté haïtienne vivant sur place. Car cette crise diplomatique survient alors que les relations entre les deux pays sont déjà tendues, notamment en raison de l'immigration haïtienne très mal perçue côté dominicain. La communauté haïtienne résidant dans le pays voisin déplore des discriminations et des persécutions dont ils sont victimes jusqu’au travers des politiques publiques. Et la peur que la situation empire règne. 

« Il est à craindre que le conflit actuel soit utilisé par les autorités dominicaines pour intensifier les violations (des droits de l’homme) », a assuré Roudy Joseph, le porte-parole du Collectif des Haïtiens en République dominicaine. Des violations qui existent déjà, parmi lesquelles « le refus d'accès aux soins de santé pour les personnes d'origine haïtienne, en particulier pour les femmes enceintes, l'expulsion de mineurs non accompagnés, la détention de personnes âgées ou de femmes qui allaitent », liste le porte-parole. 

Sam Guillaume, le porte-parole du Groupe d'appui aux rapatriés et réfugiés, explique qu’ils sont des centaines d'Haïtiens à vouloir rentrer dans leur pays, quitte à franchir la frontière de manière illégale. 

Sam Guillaume, porte-parole du Garr

« Les autorités ont donné l'ordre à la police nationale dominicaine de détenir toute personne qui leur semble haïtienne, jure M. Joseph. Du coup, de nombreux Dominicains noirs dénoncent d'être interpellés en plein milieu de la rue. La police leur demande leurs papiers et leur extorque de l'argent. Nous demandons au gouvernement qu'il garantisse l'État de droit tel qu'il est inscrit dans la Constitution du pays. » 

Pour rappel, Haïti, le pays le plus pauvre des Amériques, est enlisé depuis des années dans une crise économique et politique aggravée par la violence des gangs. 

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(Avec AFP)