Européen de la semaine

Catherine Colonna, une diplomate chevronnée aux Affaires étrangères

La ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna (à droite) avec son homologue allemande Annalena Baerbock à Berlin, 24 mai 2022. Photothek via Getty Images - Thomas Imo

Catherine Colonna n'est pas - encore - connue du grand public, mais elle a mené une carrière à faire pâlir d'envie plus d'un diplomate. Récemment en poste à Londres, elle prend ses fonctions dans un monde en crise dont les repères se brouillent, et doit affronter un ministère en révolte. À 66 ans, elle dispose pour cela d'atouts solides.

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Grand commis de l’État : si l’appellation a encore un sens, elle s’applique bien à Catherine Colonna. La nouvelle ministre, qui s’est dite un jour trop à gauche pour être de droite et trop à droite pour être de gauche, sert l’intérêt général depuis plus de 40 ans. Après un parcours classique - études de droit, Sciences Po, ENA - elle embrasse directement « la carrière » diplomatique, avec un premier poste à Washington, en 1983. Suivent de nombreux postes de direction au quai d’Orsay, des ambassades à l’Unesco à l’OCDE en Italie et au Royaume-Uni.  

C‘est à Washington qu’elle travaille pour la première fois avec Dominique de Villepin, dont elle sera des années plus tard, entre 2005 et 2007, ministre déléguée aux Affaires européennes. Catherine Colonna a été quelqu’un « de très important », de « complémentaire » pour l’ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, qui ne tarit pas d’éloges : « Elle a un tempérament qui favorise la recherche d'un consensus, extrêmement affable, positif et c'est quelqu'un qui sait valoriser ses interlocuteurs, qui aime partager. Dans la mission qui va être la sienne, il va falloir créer de l'unité, de l'initiative, et son sens du collectif est extrêmement important. Elle n'a jamais "joué individuel", a beaucoup d'humilité, et en même temps de l'ambition. Cette liberté, ce savoir-faire qui sont les siens, dans un esprit collectif, peuvent aujourd'hui apporter beaucoup à la diplomatie française ».   

Réputée pour sa rigueur et sa discrétion, elle a également marqué l’eurodéputé de la majorité présidentielle Sandro Gozzi par son côté direct, pédagogue et efficace dans la communication. Il se souvient de ses années à l’ambassade de France à Rome, entre 2014 et 2017. « Catherine Colonna a été très appréciée, et elle a su sortir des sentiers battus de la diplomatie en s’investissant notamment sur des sujets de société. Mais je crois pouvoir dire aussi qu’elle a fait un grand travail à Londres. Dans un Royaume-Uni en plein Brexit et post-Brexit, dans un contexte qui a mis à mal la relation euro-britannique et la relation franco-britannique, elle a très bien représenté et défendu les intérêts de son pays ». C’est pendant son ambassade à Londres que vient la consécration : Catherine Colonna reçoit le titre honorifique d’Ambassadrice de France, en 2020. Seules trois femmes le portent.   

Européenne convaincue 

Catherine Colonna n’a eu de cesse de faire avancer l’Union européenne. Ministre déléguée, elle plaidait déjà en 2006 pour revenir sur la règle de l’unanimité, corriger la disparité de représentation entre États, propose un salaire minimum européen, réclame un sursaut, car il en va de la survie de l’UE. « Il n’est sans doute pas indispensable de définir la taille des palourdes du bassin d’Arcachon, mais plus utile de prendre ses responsabilités au Liban », expliquait-elle à la conférence de rentrée des Ambassadeurs.   

Six ans plus tard, elle co-signe dans le Monde une tribune avec le président d’Européens sans frontières, Philippe Cayla, en faveur du droit de vote plein et entier à tous les ressortissants de l’UE dans leur pays de résidence, quel qu’il soit. L’initiateur de la campagne « Let me vote se félicite de sa nomination. « C’est une Européenne convaincue et une diplomate de très grand talent. Aujourd’hui son spectre d’action est beaucoup plus large, mais dans son intitulé de fonction, elle a gardé l’Europe, comme son prédécesseur, et même si elle a un excellent ministre délégué, Clément Beaune, elle gardera un œil sur l’Europe c’est sûr... et elle sera je n’en doute pas fidèle à ses convictions dans son action diplomatique européenne. » C’est aussi avec la passionnée de cinéma, qui fut un temps présidente du CNC, que Philippe Cayla a travaillé : « Elle aime le monde artistique, et elle nous a d’ailleurs encouragés quand elle était dans notre association à nous diversifier et à développer de courts films d’animation sur les affaires européennes - une activité qui continue - et son œil critique inventif nous a beaucoup aidé à l’époque. »  

Un ministère en crise 

Avant son court passage au CNC, Catherine Colonna a été porte-parole du président Jacques Chirac pendant neuf ans, un record de longévité à cette fonction.  Là encore, « elle a appris au contact de Jacques Chirac l'importance des principes pour la diplomatie française, les principes de paix, d'indépendance, d'équilibre, qui sont au cœur de de la tradition diplomatique française », souligne Dominique de Villepin. Ces principes, nul doute, lui seront utiles pour affronter un monde en crise : Ukraine, Sahel, Climat pour ne citer que quelques urgences.  

Mais la colère gronde aussi en interne. La réforme du corps diplomatique voulue par le président de la République a mis la diplomatie en ébullition. Dominique de Villepin ne se résout pas à voir disparaître la spécificité de « la carrière » : « Cela me paraît littéralement impensable, c'est un risque d'affaissement pour la France, un risque de perte de compétences, un risque de perte de l'attractivité, de la crédibilité et de la force de notre réseau donc je crois qu'il y a là un enjeu majeur ». Un jeune cadre du quai d’Orsay qui souhaite rester anonyme dénonce lui aussi une incompréhension du métier « non seulement on nous demande encore de faire plus avec moins de moyens, mais en plus on nie que nous ayons un métier spécifique qui s’apprend sur le temps long, se forge sur le terrain avec l’expérience, qui nécessite des compétences que l’on n’a pas forcément dans d’autres administrations. Le fait de nier cela est quelque chose de profondément violent. » Tellement violent que le 2 juin les diplomates étaient en grève, une première en 20 ans.   

« Gérer ce passage à une nouvelle époque que demande le président et le gouvernement au corps diplomatique ne sera pas simple, confirme Sandro Gozzi. En tant qu’ancien diplomate italien et pour avoir "pratiqué" le corps diplomatique français, je pense qu’elle va avoir un travail plutôt difficile ». Au Quai d’Orsay la discrétion est de mise et le devoir de réserve une obligation. Peu de cadres acceptent de s’exprimer, même de façon anonyme. Certains que nous avons joints se disent rassurés par la nomination d’une femme du sérail à la tête du ministère, mais d’autres soulignent une très mauvaise réputation en matière de management. 

Les opposants à la réforme appellent à l’ouverture d’une concertation. « Il faut clairement revenir sur cette réforme, c’est évident, estime ce même cadre du Quai d’Orsay, elle-même y sera sensible, elle a franchi toutes ces étapes, elle a fait une carrière absolument brillante. Et ce que nous demandons aussi, et c’est très important, c’est l’ouverture de grandes assises du ministère des Affaires étrangères, avec un débat qui soit le plus ouvert et public possible ». 

Dominique de Villepin veut, lui aussi, croire que Catherine Colonna saura défendre les diplomates.  « Nous sommes à un moment comme dans tous les moments difficiles, la diplomatie doit être capable de s’appuyer sur des principes, et elle connait ces principes. Elle a travaillé avec un homme qui a véritablement porté une vision et une exigence diplomatique extrêmement forte qu’était Jacques Chirac. Donc, elle est bien placée pour mesurer à quel point l’outil diplomatique, le corps diplomatique est indispensable. »    

Indispensable par exemple pour défendre la place de l’Europe dans un monde en plein bouleversement. À peine installée dans son bureau du Quai d'Orsay, Catherine Colonna repartait pour Berlin, Varsovie, Kiev et Boucha, en Ukraine.

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